SAFAR vu par Eskeinzern
Safar est un être simple qui sait parcourir les plans et les demi-mondes comme un chien renifle les territoires qu’il convoite pour se soulager. Je sais que la comparaison est ignoble, mais mon maitre a toujours réussi à tromper les mondes. Sa simplicité en fait un excellent maitre car nous comprenons systématiquement où il nous amène, vers quel concept il nous guide et dans quelle sagesse il nous conforte. Et à propos de Sagesse, dès qu’il s’agit de reconnaitre sa sagesse, Safar devient un maitre complexe. Si je pars du postulat qu’il nous a choisi parce que nous sommes intelligents, parce que nous avons ou auront la sagesse de le comprendre par-delà l’espace et le temps, alors il sait que sa simplicité pose question. Il sait que nous l’analysons pour aller au-delà de ses concepts de base. Et c’est bien là que nous en sommes : Safar n’est pas un simple être humain. Je me suis donc décidé à l’étudier, malgré toutes les heures nécessaires à mon apprentissage de sa magie. J’ai décidé de trouver le temps de le comprendre, et si j’en ai la sagesse, de le confondre dans ce qu’il est.
Safar a déterminé que j’étais doué pour énumérer, répertorier et analyser les formes de magies qui peuplent les mondes. C’est une chance car c’est un travail passionnant. Je vais donc analyser mon vieux maitre comme l’une d’entre elle. Je verrai son historique, son caractère, sa manière de vivre, son entourage, ses capacités et ses pouvoirs. Puis j’espère en arriver à ce qu’il est devenu à l’heure où j’écrirais les dernières lignes de ce carnet de route. Je ne prétends pas tout connaitre de lui, et je sais que mon maitre en cachait malgré tout un peu. De plus, il saura que je commence cet ouvrage, et je ne lui ferai pas l’affront de ne pas lui en céder une copie. Commençons…
Safar est à ma connaissance un fils de prêcheur de Delyade. Il a grandi sous des préceptes de partage, de respect, d’humilité, de don de soi, et de paroles divines. Ce sont des aspects importants, car il utilise régulièrement des expressions cléricales, et nous guide en nous considérant comme ses égales, voire ses supérieurs. Il est comme le bucheron forestier guidant son roi et ses chevaliers dans une forêt sombre. Un hiver de sa jeunesse, son père était en voyage et il devait s’occuper du temple en son absence. Alors qu’il réparait un des appentis du temple, un immense animal volant s’est écrasé lourdement sur lui et lui a brisé les jambes. Sous la bête froide, il gît pendant plusieurs heures sans pouvoir bouger. Alors qu’il était à l’article de la mort, son don se révéla. Le dragon se leva et tourna sa longue tête, enfonçant son regard reptilien dans le sien.
« Je suis épuisé petite créature ; et tu es trop maigre. Va trouver la quantité de nourriture qui me sustenterai » Devant l’expression hagarde du jeune homme qu’il était, la bête ajouta : « réunis le festin d’un roi et ajoutes y les ripailles de vos saintes fêtes annuelles. Avec cela je t’épargnerai, et quitterai ton village. » Comme Safar a pu nous le conter, pendant qu’il réunissait toute la nourriture du village, il lui vint une idée étrange et folle, celle d’affaiblir le dragon pour l’amadouer dans sa faiblesse. Entreprise dangereuse et complètement irrationnel si je ne connaissais l’intelligence de mon maitre ôté de sa sagesse millénaire. Sans en connaitre tous les détails, je sais que le dragon devint son ami et plus encore. Son don lui permet encore aujourd’hui de les comprendre mieux que quiconque.
Je suis avec mon maitre depuis qu’il est arrivé sur Daorn. Il m’a choisi car je lui ressemblai étant jeune. Je suppose que c’est ma fougue qu’il lui avait plu. Je suis plus sage aujourd’hui, évidemment. Mais c’est toujours une question d’angle d’analyse, car un siècle s’est écoulé depuis, et il me considère toujours impulsif malgré tout. Nous avons parcouru de nombreux chemins pour apprendre des créatures de ce monde, et j’ai appris à connaitre mon maitre. Il est d’une patience légendaire et ne se laisse jamais gagner par la colère. Il n’est jamais déçu non plus et apprend de chaque instant de moi et des autres. Nous avons parfois subit les assauts de personnes malhonnêtes, ou simplement idiotes. Et malgré cela, Maitre Safar restait impassible, apprenant de ce monde. Je crois que cette leçon de vie est celle que j’ai mis le plus de temps à assimiler, et je suis persuadé qu’il s’en est toujours amusé. Son deuxième trait de caractère le plus marquant est son humour temporel. Je sais que l’on parle d’humour décalé quand ce dernier est facile d’accès pour les plus simples d’esprit. Safar ne réservait pas son humour aux esprits les plus brillants mais il fallait faire l’effort de le comprendre. Nombre de ces fantaisies sont restées incomprises. Il m’a un jour avoué avoir créé des dysfonctionnements pour la postérité, avec plus de la moitié des équipements magiques qu’il avait fabriqués !
La vie de Safar comme vous l’avez deviné, se mêlait de simplicités quotidiennes, et de la complexité d’analyses magiques poussées. Car tout y passait.
Pour Safar, la magie n’est qu’une inépuisable, intempestive, incontrôlable et intemporelle source de pouvoir. Notre vie en tant que disciple était de suivre notre maitre dans cette vie de simplexité. Je pense que d’un point de vue extérieur, il devait être cruel, sans retenu et même sans âme. Ce n’était pas le cas, mais l’objectif importait toujours plus que les moyens. Enfin, je l’ai longtemps cru. Nous avions un rythme précis. À minima, nous marchions une demi-journée, nous devions nous baigner dans un élément une fois par jour au moins, en s’efforçant d’alterner. Tout comme Safar, je préfère le feu. L’immolation est mon plus grand plaisir, mais je devais me rouler dans la boue, me laver à l’eau claire, ou chuter pendant quelques minutes. J’avoue apprécier les longues chutes également.
Tous les matins, aux premières lueurs, Safar nous faisait boire sa mixture. C’était notre plus grand devoir. En effet, officiellement, l’analyse exacte de cette mixture devait nous libérer de notre apprentissage. Safar nous avait donc laissé le loisir de rechercher par tous les sens, et intelligences ce qu’elle contenait. La journée était parsemée d’épreuves et d’études. Tout était matière à réflexion, et nous devions avoir un maximum d’expérience tout en ne bouleversant pas le monde. L’objectif était d’avoir à raconter un maximum de vécu lors de nos veillées. Nous dormions dans un abri Safarien, sorte de puissant sortilège d’abri sur Léomund qui ne laisse ni passé le temps, ni fatigué à sa sortie. Safar possédait sa propre chambre et je sais qu’il conversait avec des créatures outre planaires pendant quelques heures avant de succomber lui aussi au sommeil. Une fois reposé entre huit et dix heures, nous engagions les travaux de nuit qui consistaient en fabrications de potions et tests pratiques de sortilèges plus classiques.
Nous étions trois disciples. Safar pouvait tout tolérer de nous, mais nous sentions que la jalousie ou la colère entre nous trois, le déstabilisait un peu. Loin de détester les conflits ouverts, il refusait que l’on se cache derrière de faux traits d’esprit. « Une haine cachée est un poison sans nom ». Nous étions donc trois apprentis amis pour le meilleur et pour le pire, Edmond Titlantrop, Galterion et moi-même. Safar n’avait pas d’ami. Il n’avait que ses trois disciples, et les entrainements de chaque jour auraient bien pu en réduire le nombre plus d’une fois….
… Safar n’est plus. Je ne saurais dire s’il a toujours été le dieu de la magie ou s’il en a fait son souper (expression qui revient à mon maitre), mais un jour Safar a disparu. La mort d’Edmond y est peut-être pour quelque chose, à moins que cela soit notre indéniable défaite face à Darokmaw et sa légion de pseudo héros. Toujours est-il qu’il nous a quittés à Octtopa dans un festival de flammes et de cristaux d’acier. Safar, mon ancien maitre, était un devin. Son pouvoir sur le temps était immense. Il savait tout ce qui allait arriver. Il influençait chaque existence de manière placide, tout lui était dû, car tout lui était su. Malgré ce pouvoir sur le temps, sur les éléments et sur les passages entre les dimensions, il a toujours placé largement au-dessus- sa capacité à converser avec les êtres « supérieurs ». Son combat, qui fût le nôtre, était de mettre tous les mondes sur un pied d’égalité. Nous y sommes parvenus un temps, et malgré notre défaite, je crois que les Athnasiens, les entités primitives et les Dragons se sont sentis suffisamment en danger pour respecter les dernières créations. L’autre fascination de Safar, sa faiblesse en quelque sorte, est la musique. Il n’a jamais été doué pour elle, car nous l’entendions parfois avant de nous endormir, et il fallait vite fermer l’œil pour ne pas en rire, et le payer durement.
Safar est probablement Boccob aujourd’hui, et il s’amuse sur les plans de la loi a en tordre les aiguilles du temps. Il a toujours été fasciné par la musique et dirige tranquillement une école de musique. Enfin, j’espère qu’il n’en ai pas le chef d’orchestre. Un jour j’irai rendre visite à ce dieu de la magie pour vraiment le confondre, mais j’ai pour le moment beaucoup trop de travail sur les mondes que les entités primitives ont créés. Cette note ira probablement à la poussière, mais celui qui viendra me voir avec, aura droit à l’une des leçons de mon maitre : Un grand pouvoir implique de grandes douleurs à l’âme et d’innombrables courbatures.