berceau des érûnars
Diapo,  Histoires des mondes,  Personnage

Recueils d’ombres et de lueurs

Dans un lointain passé, au cœur des plans éthérés, là où la réalité vacille entre rêve et désordre, des entités primitives font les mythes, ou bien se dissimulent dans l’ombre des légendes. Ce texte ne vous dévoilera pas leur existence en des mots simples ; il vous évoquera plutôt leurs imperceptibles traces en quelques murmures. Il sera un simple et fugace jeu de reflets échappant à l’observateur inattentif.

Dans les pages anciennes des Veritas Compendium, sous des passages à demi effacés, on raconte que les protecteurs du mont céleste ne furent pas créés en toute lumière, mais dans l’ambivalence des sentiments de leur mère, Bellamala. Créature fougueuse, première enfant de Slilkult, elle façonna ces êtres pour combler un vide insatiable. Elle y versa à la fois sa peine et sa rage, ne les dotant que de ce qu’il fallait pour comprendre leur puissance, sans jamais s’émouvoir pour elle. Bellamala pensait leur donner une éternité d’obéissance et de sagesse… Pourtant, ces enfants élus, d’un éclat glacé et d’une conscience unique, acquirent bien vite une autonomie dangereuse sous leur obéissance innée.

Au début, ce peuple semblait totalement dévoué. On raconte que leur esprit unique dans un corps double, à la fois mage sans voix et guerrier ailé, leur permettait d’obéir comme une seule conscience, combinant la puissance magique d’un Mahamet et l’acier impitoyable des anges d’Athnas. Mais alors que Bellamala glissait peu à peu dans la folie, ses créations aussi commencèrent à percevoir le monde différemment. Les gardiens, silencieux et austères, n’étaient pas exempts de pensée.

Un Exil Volontaire

Bellamala, aveuglée par sa propre soif de contrôle, ne réalisa pas que ses enfants développaient une sagesse secrète. Certains, en toute discrétion, commencèrent à se rassembler, se renseigner sur leurs ordres et à échanger sur leur vision du monde. Ces doubles créatures douées d’une unique conscience partageait également un doute. Ils commencèrent à sentir une faille dans le dessein de leur créatrice.

Un jour, alors que Bellamala cherchait à enchaîner un monde de plus à sa collection d’esclaves planaires, une rumeur se glissa parmi eux. « Pourquoi Bellamala, la grande créatrice, détruit-elle tout ce qu’elle touche ? » Peu à peu, le doute s’insinua, et dans une décision jamais évoquée, ils se retirèrent, parcourant les plans en quête d’un dessein supérieur. Vers les cieux supérieurs, ils trouvèrent un asile au Mont Céleste d’Athnas.

Ce départ reste une énigme. Aucun écrit ancien ne relate précisément comment ce peuple parvint à franchir les dimensions du berceau sans en alerter Bellamala. Tout ce que l’on sait, c’est que leur évasion se passa sans combat, comme si, soudainement, leur créatrice avait décidé de les abandonner.

La Rencontre avec Athnas

Les archives sont obscures quant à leur première rencontre avec Athnas, mais il est dit qu’ils lui promirent fidélité, obéissance, protection, en échange de sa bonté et de sa justice. Athnas accepta, mais il est rapporté qu’elle les aurait avertis : « Tout acte de défiance vous contraint, car vous êtes faits d’un métal de foi. Si jamais vos cœurs trahissent un nouveau maître, vos ailes d’acier se retourneraient contre vous, créant une rage destructrice entre vos corps et dans votre esprit. »

Ainsi, les nouveaux Êlus celeste devinrent les protecteurs des mystères d’Athnas. Certains murmurent qu’ils se déplacent entre les plans avec une fluidité que seules les plus anciennes entités comprennent. Elles traversent le tissu des mondes et créent des portes invisibles, des portails que les simples mortels ne peuvent sentir.

Le Chant des Ombres

Il y a pourtant d’étranges témoignages qui prétendent en avoir vu. Ceux-là évoquent des ombres gigantesques passant dans le ciel étoilé, des ailes métalliques glissant sans bruit dans la nuit, des murmures à peine audibles qui ébranlent l’âme. Dans ces rencontres, une légende revient sans cesse : le chant des ombres.

Aegiel

Le chant est décrit comme une mélodie austère, parfois étouffée, parfois intense, mais jamais complète. Ceux qui l’entendent ne peuvent oublier cette mélodie froide, qui semble ouvrir une faille dans leur esprit, révélant des fragments de connaissance impossibles à reconstituer. Des savants et des sages auraient tenté de comprendre ce chant, mais rares sont ceux qui en comprennent la nature véritable. Certains prétendent que le chant révèle les noms des entités passées et à venir, un lexique perdu qui permettrait de déchiffrer la destinée des mondes.

Mais qui sont-ils ? Je n’ose les nommer. Sont-ils des gardiens, des chasseurs ou des esprits errants ? Sont-ils tout cela ? Dans ce chant certains ont entendu des noms. Je veux les connaitre car il existe des murmures qui racontent que chacun possède un secret. Ces noms une fois révélés, confèrent à celui qui les prononce le pouvoir de comprendre le tissage des plans. Je ne sais si ces noms existent vraiment. Je veux le croire.

Le savoir

Les rares érudits qui osèrent dédier leur vie à l’étude de ces êtres devinrent à leur tour des énigmes. On raconte que certains d’entre eux disparurent sans laisser de traces, tandis que d’autres furent retrouvés pétrifiés dans des positions de contemplation, leurs yeux fixés vers un point invisible, comme capturés dans une vision sans fin.

Parmi ces fous de savoir, quelques figures émergent.  Erelian le Voyant en est une. Ce fut un clerc déchu des académies de Len pour avoir défié les lois de la théocratie. Ses écrits sur les être d’ombre et de lumière, recueillis dans un grimoire qu’il nomma La Sphère d’Ombre, sont des fragments de lucidité entrecoupés de délires mystiques, laissant supposer qu’il avait effleuré quelque chose au-delà du compréhensible. Ses mots semblent parfois guidés par une force étrangère, réfractant la réalité comme le ferait un miroir brisé entre plusieurs mondes. Un passage en particulier m’a troublé et je vous en fais part :

« Il existe à la lisière de la perception, entre les matins et le berceau, dans l’ombre du doute et l’éclat de la foi brisée, comme un regard. Ce regard qu’il nous porte, perce les mondes. Et pourtant, ils sont aveugles à la lumière qui les chérit. Je les ai vus, non pas leurs formes, mais les sillons qu’ils tracent à travers l’éther, comme des ailes griffues invisibles déchirant le voile de l’existence. Ils sont deux, mais ne font qu’un, visible et invisible, érûnars

Eskeinzern de Turin, conservateur de la Grande Bibliothèque des sabres Ceylan, était un érudit de haute réputation. Dans un recueil aux pages effacées par le temps, il découvrit un fragment de poème, gravé dans un langage ancien, une série de vers qui semblaient suspendus entre deux réalités :

« Nous étions l’écho d’une vie,
Entre ombres et lueurs.
Toujours avisés, jamais divisés,
Que sont les ailes du céleste
Sans le vent de la foi ? »

Ces vers, sans signature, ni date, éveillèrent en lui une obsession tenace. Eskeinzern passa des décennies à déchiffrer ce poème, jusqu’à en délaisser ses responsabilités de conservateur. La nuit, il déambulait entre les rangées de manuscrits et de grimoires, répétant ces lignes à mi-voix, cherchant ce qui se dissimulait entre chaque mot. Un jour, il quitta sa retraite et partit pour la cité fortifiée d’Ezbratla, une place mystique, quasi imprenable, nichée dans une brèche  du désert d’Octoppa. Ezbratla, avec ses quartiers dissimulés et ses jardins suspendus, abritait un savoir inégalé et interdit, où seul un être illuminé pouvait s’égarer sans en perdre la raison. Eskeinzern aurait arpenté les murs épais et les chemins tortueux de la cité, gravant des inscriptions dans des coins reculés, inscrivant ce qu’il appelait les murmures de l’acier et des vents d’Azbrabar.

J’ai retrouvé ses carnets, remplis de notes désordonnées, fou qu’il était assurément. Il y décrivait des ailes comme des lames fines, un murmure au-dessus des tours, et des chants diffus semblables à des incantations de vent. Il parlait de présences qui traversaient les plans en silence, de protecteurs arachnides au corps de serpent et au visage sans bouche, que nul œil humain ne pouvait suivre sans en perdre une part de soi.

Eskeinzern est revenu d’Ezbratla. Il pris une nouvelle retraite en Canédie, suivant son fr^re dans son projet interplanaire. La rumeur veut qu’un soir, alors qu’il scrutait les cieux pour capter les silhouettes légendaires qui le hantaient, il disparut dans un éclat de lumière. Seuls restèrent des fragments de sa folie, capturés dans ses écrits, murmurant à ceux qui osent encore les lire.

Zebrùn, mage errant et poète, fut, lui aussi, happé par les rumeurs d’ombres dans le ciel. Contrairement à Eskeinzern, Zebrùn ne cherchait pas dans les livres. Il était connu pour traverser les plans et les frontières interdites, se déplaçant d’un monde à l’autre à la recherche de fragments d’histoires égarées.

Son art résidait dans les portails ; il connaissait les chemins qui reliaient les terres aux dimensions plus subtiles. Son but ultime n’était pas d’ouvrir ces portes pour lui-même, mais pour invoquer des ombres invisibles, des gardiens qu’il pensait pouvoir capturer et faire parler. Zebrùn consacra sa vie à tracer des runes dans le sable du désert de Dor, espérant attirer des entités cachées, des créatures de métal et de lumière évanescente. Son obsession se concentra autour de ces chants éthérés qu’il prétendait avoir entendus lors de ses incursions au bord des dimensions connues.

On raconte qu’un jour, Zebrùn ouvrit une porte vers les brumes du crépuscule d’Azbrabar, ces matins éternels où la réalité se tisse et se défait. Dans une étendue de sable constellée de vestiges antiques, il aurait découvert un temple, un lieu interdit où résonnait un murmure étrange, comme un poème oublié qui se répétait en boucle. Là, entre les colonnes effacées et les arches brisées, il pensa apercevoir une forme voilée, une silhouette dédoublée qui le scrutait sans vraiment le voir. C’est ainsi qu’il quitta sa mission et ses disciple.

Zebrùn disparut dans les jours qui suivirent. Le passage qu’il avait ouvert fut retrouvé quelques années plus tard, déserté et effacé par le vent devant la cité de K’Tal. Dans son dernier grimoire, les mots semblent se fondre et se superposer, évoquant une lumière qui tranche le vide, des chants perçus au-delà des sons, et un langage que nul n’était digne de prononcer.

Certains prétendent qu’il est encore possible de retrouver ses traces dans le désert, entre deux dunes aux reflets métalliques. D’autres disent qu’il erre toujours, entre les portes qu’il a ouvertes, cherchant à capter l’écho d’un murmure, sans savoir qu’il ne fait désormais plus qu’un avec le chant éternel qu’il recherchait.

Retient simplement ceci cher lecteur.

« Le chant des ombres ne se dévoile qu’au prix de la raison. »

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