Seldrôm
Histoires des mondes,  Royaume de Dor

Rafal

Alors que le soleil frappe de toutes ses forces les aventuriers dans le désert de Maatolgar, où l’horizon brûle les yeux, une caravane semble ne pas souffrir du règne de l’intense chaleur. C’est la caravane de Kalehd Ben Rafal, le sourcier du sable. Kalehd aime le désert. Il lui parle et il sait se faire entendre. Même les sorcières le respectent malgré ses origines mortelles. Je connais certaines passes, mais lui, les connait toutes. Avec son air benêt, sa voix rauque, ses cheveux crépus en bataille, et sa grosse moustache de pirate, il n’inspire pas confiance, je l’avoue. Il ressemble même plus à un voleur qu’a un marchand ; même si parfois la profession est proche. Kalehd est mon ami. Je vais vous accompagner jusqu’à TorGrida, la cité des thermes elfiques, puis nous essaierons de le trouver. Sans lui nous ne tiendrons pas longtemps avec les créatures du désert le jour, et les abominations la nuit. Je ne vous parlerais pas de son secret, mais croyez-moi, nous passerons le désert sans trop d’embuches si nous sommes discrets.

Cela me rappelle l’histoire du Seldrôm. Vous en avez surement déjà entendu parler. Le Seldrôm est un félin de pierre avec une mâchoire proéminente, des pattes massives et une queue possédant un buste de diablotin. Il semble d’ailleurs que ce dernier soit le centre nerveux de la bête.

Cette abomination rodait non loin du campement de mon ami Ben Rafal. Il fût prévenu par l’un de ses hommes, de garde autour du camp, qu’une bête anormalement grande rodait. Rafal demanda à son garde de prévenir l’ensemble des sentinelles de se retirer, et d’aller se reposer dans le silence total. Puis, il courût vers sa tente. Il y enfila son armure noire rutilante, et prît son sabre à deux mains. Il sortît alors dans la nuit. Sous les étoiles du désert des feux d’Atlar, son arme s’enflamma aussitôt. La bête n’était pas loin et elle sentît sa présence, car elle se manifesta bruyamment. Comme le torrent jaillissant de la roche, le Seldrôm apparût soudainement à la lumière de l’épée de Rafal. Mon ami frappa la bête au visage puis fit volte-face et courut s’enfoncer dans la noirceur du désert, son épée créant une ligne jaune et rouge dans son sillage. La bête, plus humilier que meurtrie, le poursuivit, s’éloignant ainsi du campement. Grace à ses capacités d’homme bête, aux pouvoirs de son sabre, et à sa volonté d’acier, Ben Rafal emmena le Seldrôm loin vers l’est jusqu’au petit matin. Là, dans le labyrinthe de roche qui succède aux sinistres collines des flèches impures, au pied du gouffre qui le séparait de la cité de K’Tal,  il leva son sabre au ciel. Alors que la bête fondait sur lui, ivre de rage car enfin sur sa proie, il disparut. Le Seldrôm se fracassa probablement sur la roche en contrebas, nul ne le sait. Mais la légende qui était jadis contée pendant les soirées dans le désert de Maatolgar, se racontait désormais plus à l’est vers AtorGrida et Kopa lachaz.

Rafal reparu le lendemain soir au camp, là où ses fidèles compagnons l’attendaient. Bien qu’ayant gagné face au Seldrôm, il ne raconta son histoire qu’après son arrivée à Ator Grida. Ses compagnons d’armes ou « sabres » comme il aime à les appeler patientèrent donc jusqu’à la première soirée dans une taverne fraiche d’Ator Grida. C’est là que je vis Kalehd Ben Rafal pour la première fois. Un bel homme, puissant et humble. Un aventurier malgré lui, amoureux intrépide du désert, mais conscient de ses dangers. Il racontait son histoire pour la énième fois, à un auditoire se faisant de plus en plus nombreux. La bête vomissait de la lave en fusion comme si son estomac la fabriquait. Je dus me jeter sur le flanc à deux reprises pour éviter ses projections malodorantes ; mon épée habituellement mortellement magique n’avait aucun effet sur sa peau dur comme le mithril. Elle tranchait, mais la créature régénérait presque aussitôt. Elle se jeta sur moi  toutes griffes d’acier dehors. J’eus à peine le temps de basculer pour me retrouver sous son torse, sa gueule féroce haletante hoquetant au-dessus de moi.  Tous les grands guerriers ont déjà eu affaire à la rage de vivre qui décuple vos forces lorsque votre fin approche ! C’est cette folie meurtrière qui me fît trancher sa patte droite, me relever d’une roulade arrière, et courir vers les collines de l’est. C’est à ce moment que j’eus l’idée de l’amener jusqu’à K’Tal. Habituellement, les créatures du désert n’aiment pas cette région. Ce ne fut pas son cas, mais elle sembla avoir ralentie l’allure, quoi que restant sur mes traces dans la traversée du labyrinthe de pierre et de sable. Je l’observais en contrebas depuis le haut de mon promontoire. Quelle créature ! Sous sa peau de pierre et d’acier roule une musculature impressionnante entrainant ses six pattes puissantes. Dans la lueur du petit matin, la créature miroitait de reflet bleu et ardoise. Sa peau avait même des éclats argentés aux pattes et sur la gueule. Je remarquais qu’elle n’avait pas d’oreilles et que sa tête était disproportionnée à cause de sa mâchoire proéminente. Sous ses pattes le sable étincelait. La roche semblait fumer. Le diablotin au bout de sa longue queue noir, avait un buste noir poilu et une grosse tête hideuse. Il possédait de grandes oreilles elfiques et un long nez de gobelin. Ses petits yeux jaunes, malgré le jour croissant, brillaient de mille feux. Il scrutait de droite et de gauche comme si c’était lui qui dirigeait la masse imposante du Seldrôm. Lorsqu’il me remarqua, la créature se remit en chasse et grimpa à grande vitesse le pierrier abrupte qui nous séparait. Je me remis en marche et décidait à ce moment de trouver un précipice qui serait suffisant pour me débarrasser de la bête. À peine une heure plus tard, je me retrouvais face à l’abîme d’un précipice où se perdait les racines d’un vieil arbre probablement millénaire. Derrière lui, dans les hauteurs au-delà de la brume, trônait la cité de K’Tal. La bête avança prudemment jusqu’à dix mètres de moi. Puis, poussant un cri rauque féroce, elle s’élança, le diablotin sifflant désespérément. J’empoignais mon sabre et lançait un sort pour voyager dans les limbes du temps.

À ces mots, l’auditoire poussa un cri d’émerveillement et de surprise. Le marchand guerrier était aussi un sorcier. Certains reculèrent, quand les plus jeunes se rapprochèrent presque à le toucher. Les sorcières faisaient peur par ici. Mais les sorciers fascinaient la jeunesse. On disait le Roi Sultan sorcier. On le disait même grand maitre des sortilèges dans le désert. Lui et ses magiciens protégeait les cités de Dor du mal qui régnait à l’est, des tribus belliqueuses et pirates du nord, et de l’ouest lointain. L’ouest lointain où les mages de guerre détruisaient des villes entières avec d’énormes boules de feu ou de glace. Oui les mages fascinaient les plus jeunes, qui n’avaient pas encore l’instinct de survie.

Mon ami Kalehd Ben Rafal finit son récit sur cette note. La jeunesse ne le gênait pas et la méfiance des vieux citadins lui servirait pour passer une nuit en toute quiétude. Les cités du sud sont réputées pour leur talentueux roublards. Avec ce récit, il venait de gagner quelques jours de tranquillité pour lui et sa troupe. Le temps de refaire ses stocks et il repartirait vers le nord cette fois. Telakara allait être sa destination, et c’est au cours de ce voyage que nous fîmes connaissance. C’est une histoire que je vous conterais peut-être.

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